Avant même de plonger dans l’univers de Marianne Desroziers,
il y a le bel objet : sous l’enveloppe de cristal, la couverture aux
fines rainures qui évoquent, déjà, les lisières annoncées par le titre ;
le papier qui chante ; le logogramme élégant, et l’illustration, toute
de lignes de failles, porte d’entrée sur un monde de subtiles
déchirures.
Le recueil aurait pu se nommer « oscillations » : Marianne Desroziers
lui a préféré l’idée d’une frontière poreuse, d’un entre-deux où l’on
hésite entre fantastique et réalisme. Ses lisières soulignent
l’ambiguïté qui règne, maîtresse, sur les six univers ici collectés
comme autant de parenthèses – ces parenthèses si présentes dans le style
de l’auteur- dans des intimités prêtes à basculer vers autre chose,
ailleurs.
Voilà le lecteur condamné à vaciller d’un mot à l’autre, jamais
certain d’échapper aux sables mouvants des atmosphères chuchotées par
l’auteur. Que l’on se laisse prendre par les vagues de monologues
intérieurs (Depuis les terrasses, texte écrit à l’ombre de Virginia Woolf) ou piéger dans une bibliothèque (Le vice enfin puni,
hommage pétillant à Borgès, confirmant, si l’on en doutait, que
l’écrivain est avant tout un lecteur) ; que l’on tente d’élucider le
mystère d’un cliché (La disparition de la photo, plaisante variation autour d’un thème fantastique rebattu) ou de la disparition d’une jeune fille (Marie-Josée, jolie ré-appropriation d’une œuvre de Boltanski, dont le rythme, très travaillé, emporte) ; que la frontière soit matérielle (Le bar d’acajou, intéressante interprétation du rôle de garde-frontière) ou spirituelle (La couverture rouge,
morceau de bravoure sensible), l’écrivain travaille à cristalliser ces
bordures intimes et à confondre son lecteur, lui laissant le choix entre
le mystère et l’introspection.
Quoique certaines formules soient plus rocailleuses et moins enlevées
que d’autres, il y a là une plume dotée d’une sincère sensibilité, qui
sait utiliser le fantastique comme révélateur d’intimités brouillées et
laisse émerger une certaine vision de la lecture, comme jeu
d’imprégnation et d’interprétation d’un univers (é)mouvant.
Une jolie entrée en littérature, que l’on peut commander auprès de son sympathique éditeur ici : le livre sera imprimé pour vos beaux yeux et expédié avec autant de courtoisie que d’enthousiasme !
Critique publiée sur le site DeLitteris