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"L'homme et la femme" de Marlène Tissot


C'est avec un très grand plaisir que je participe aux Vases communicants pour la première fois aujourd'hui avec Marlène Tissot.
Voici donc son texte, "L'homme et la femme" et retrouvez le mien, "Du vent dans les guiboles" sur son blog ici.


L’homme et la femme



L’homme rentre. Il dit que ça sent bon. N’ose pas demander à la femme ce qu’elle a préparé pour le dîner. Plus maintenant. Plus depuis qu’elle lui a signifié qu’elle en avait assez de ce genre de question. Assez des questions en général. Qu’un jour elle pourrait bien oublier de préparer le dîner. Qu’elle n’avait pas que ça à faire. Elle parlait calmement. N’était pas en colère, pas vraiment. Juste un peu froide. L’homme n’avait pas demandé non plus ce qu’elle avait d’autre à faire, au juste.



La femme est debout face à la fenêtre, dans l’oblique d’un rayon qui s’attarde. Une tisane à la main. Mélange de plantes qu’elle fait pousser sur un coin de balcon. L’homme la surnomme "Ma petite sorcière". Bien aimée ? La femme n’y pense qu’un instant. Retourne rapidement au possessif. Ma. L’homme à l’instinct de propriété. L’homme aime avant tout le confort. La femme le sait. Ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est cette sensation qu’elle a maintenant d’être objet. Appartenant à. Une étiquette cousue au col de sa vie. Un objet dont le rôle est de fonctionner parfaitement, tourner comme une horloge. Mais la femme n’en peut plus de s’entendre tictaquer, de se voir avancer dans le sens des aiguilles, sans déborder du cadran.



Pourtant, l’homme n’a pas changé. Rien n’a changé. Elle a probablement changé. Se transforme en quelqu’un d’autre. Ou bien devient elle, vraiment elle. Enfin ! Ça lui fait peur, un peu. Cette sensation de liberté après n’avoir été enfermé que par soi-même depuis tout ce temps. Tout semble immense et l’horizon trop vaste pour être en entier visité. Elle a soif de paysages et se met à rêver un peu trop fort. L’homme ouvre le buffet et sort deux assiettes. Il est un peu gauche dans sa manière de dresser le couvert. Manque d’habitude. La femme ne bouge pas.  L’homme a faim. D’habitude, ils s’installent à table à vingt heures. Il est vingt heures douze. Sa patience a des limites. 

Marlène Tissot



Précisions sur les Vases communicants : Tiers Livre (http://www.tierslivre.net/) et Scriptopolis (http://www.scriptopolis.fr/) sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

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