Dans le cadre des Vases Communicants,
je suis très heureuse d'échanger ce mois-ci avec Sébastien Marcheteau, lecteur fin et passionné et amateur de peinture
(c'est une première pour lui et j'espère que cette expérience lui
donnera envie de continuer). Nous avons décidé de nous inspirer
d'un tableau de William Mathieu. Notre choix commun s'est porté sur
l'oeuvre intitulée "Questionnement Hantaï".
Voici le texte de Sébastien. Le mien
est à lire sur son blog là.
Précision :
Bruit de glas, antilipogramme composé des treize lettres uniques
de son titre est un texte écrit avec seulement la moitié de
l'alphabet.
LE
BRUIT DU GLAS
par
Sébastien de Cornuaud-Marcheteau
Ars gratia artis
T. Gautier
Assailli et abruti d'aussi
âpres et brutales arguties, Gabriel ressasse, telles des lettres
égarées à la lisière de l'illisible, les bribes de tristesse du
désastre subi. Si sa tête garde le registre tutélaire des détails
désuets, des lustres de liesse salutaire, des rituels guillerets,
elle tarde – la rageuse – à les lui restituer. Las, il relis
l'adresse illustrée de sigles bleus au bas du billet. Si la buée
irise ses billes désaturées et grise, la brûlure du sel, elle,
attise et dessille ses braises.
« Isabella...
Isabella, susurre-t-il, la trille régulière de ta tessiture s'est
tue... »
Brisée, la tablature.
Tabula
rasa.
Il relit la lettre. Depuis
le début.
« Retardée au gré
de sa balade, relate le légiste, ladite Isabella aurait eut l'idée
d'abréger la durée du raid. 'La garrigue, basta !' aurait-elle
dit. Sa stratégie était réaliste : biseauter le ruisseau, rallier
la berge et se laisser guider à gué sur le radeau d'arbustes –
saule, sureau, buis ? – agrégés.
A-t-elle été assaillie de
grégaires et bagarreurs digitigrades
et leurs dresseurs ? A-t-elle glissé sur la glaise ? Le
lit du ruisseau a des allures de beurre ! A-t-elle été
distraite ? Stressée ? A-t-elle testé la brasse ? Et dessalé
de gré le ballast du radeau ? Dieu seul le sait !
Erreur ultérieure,
glissade brutale, ratage d'autrui, galère graduelle ?
Seule l'étude légale,
basée sur le blabla du Substitut, éludera et arbitrera les litiges.
La gageure des brigadiers et autres assureurs sera de dresser,
d'établir et de restituer la liste des erreurs sérielles.
Bigre ! La sûreté –
déléguée à l’État – des ruisselets a gîté : le terrassier
– salarié du barrage – a battu sa truelle et, telle la lugubre
et létale dague de Darius, a brassé les étais de serrage dudit
barrage. L'eau, au début, a ruisselé puis s'est ruée au dédale de
bras et de rus. Le sas du batardeau, à la suite, a été rasé.
Diable ! Le gaillard a détruit la digue et la barbarie de
l'estuaire a libéré le brutal déluge de réel, de terre, de sable
et de galets. Telle la gueule du taureau atrabilaire débarrassée de
sa bride, le gruau a surgi, libéré de sa litière, et a digéré la
starlette égarée au-delà du buste. Traîtrise leurrée des
ratières. La bataille dura, il est sûr. Et si elle s'était abritée
au lieu de laisser le treillis de barbelés lui taillader les bras,
elle aurait gardé l'usage de l'artère radiale. La raideur de ses
bras aurait du l'alerter... Abattue et blessée, de guerre lasse, la
rebelle déguste et baisse sa garde. Là, le tribut est rustre :
l'eau, des litres et des litres, la saisit et l'attire lestée de
glèbes glaireuses. Gueule bée, elle a bu l'eau des Abatilles,
au-delà de la satiété, elle a bu, à la lie et a tressailli.
Asteur et au lieudit "Le
gué de la belle lurette", terrassée sur le delta sud du
ruisseau, Isabella s'est tue.
Assistés de gaules et de
balises, les dragueurs..."
Le légiste est disert de
terribles détails et Gabriel tressaille à lire les lettres
ligaturée d'Isabella, sises là, telles les restes de sa statue
brisée au gré du ruisseau.
Elle s'est débattue, a
lutté, a retardé l'irrésistible issue... L'édile légaliste
brigue de le rassurer de sa liturgie usitée et irritable. S'il était
là, il lui tirerait dessus, gratis.
Bruit de glas au-delà de
l'abbatiale. La religieuse retire sa bible de la stèle et tasse le
terreau du tertre situé au bas de l'auguste tilleul.
Il tressaute. Au-dessus du
radiateur, derrière le rideau de tulle, tel l'astre de Rê irradié
et serti d'abeilles tigrées, l'aura laiteuse de l'élue brille au
seuil de sa balustrade grillagée. La lueur irrésistible irise les
lés de rais biseautés et illustre de rares rébus surréalistes sur
les latitudes australes de sa risible isba.
Il réalise la tragédie
argileuse de sa désirée et la détresse sidérale du deuil
rabaissée à l'état de babil.
Là, au ras de ses
blessures, le taire sera le terrier idéal à ses grèges idées, le
suaire de l'adieu et des regrets assagis.
Si gît là Isabella,
Gabriel l'adulera. Sur l'autel érigé à la déesse des Arts, il
idéalisera la beauté altière de sa libellule astrale...
Elle sera sa bergère, et
lui sera le bélier, le sigisbée béat de la seule titulaire du
sérail.
Rassasié de telle légèreté
et d'allégresse, il s'attable au bureau. Le regard erre sur les
étagères et s'attarde sur les titres des reliures : L'astragale,
Le désert des tartares...
Si le tirailleur du désert
erre au liseré de sa bastide, lui, Gabriel, tel le batelier irréel
attelé à sa liliale truite, sera lié au liber
de sa librairie et le salut surgira de sa Bastille littéraire.
Ébaubi de berlue, la rage débridée, il tuera des tas de ladres
aigris, de gladiateurs aguerris, d'arbalétriers assiégés…
Abrité derrière le
lierre, au bas de l'érable, le geai, la luette déliée, augure les
trilles du lied désirable de la littérature.