(...) Une fois la porte refermée derrière nous, il y eut un long
silence gêné, lourd de sens, puis il se mit à parler comme s’il n’avait jamais
parlé à un autre être humain. De tout ; de sa mère ; de sa
maladie ; de ses rêves encore debout ; de ses projets presque avortés
mais qui se refusaient à mourir ; des livres qu’il avait lus ; de
ceux qu’il voulait lire ; du jazz de la Nouvelle-Orléans ; de
Faulkner ; de Monteverdi. Je me tus, je le regardais, je l’écoutais, avec
avidité ; il me posa beaucoup de questions auxquelles je répondis en
termes sibyllins, tout en ayant l’impression d’en avoir déjà trop dit, comme
s’il entendait entre mes mots tout ce que je ne disais pas. Ensemble, nous
regardions tomber la pluie par la minuscule fenêtre, nos visages
s’effleurant ; soudain, je souris à un de ses mots d’esprit, il tourna la
tête pour mieux voir mon sourire et j’en fus bouleversée, ce fut comme si une
flèche empoisonnée et brûlante me transperçait le cœur. La pluie s’arrêta et
nous fûmes obligés de quitter notre abri de fortune ; en remontant l’allée
aucun de nous ne prononça un mot, il tenait la couverture serrée contre ses
poumons jadis malades – était-ce son cœur ? – le regard perdu dans la
terre mouillée. (...) »
extrait de La Couverture rouge in Lisières de Marianne Desroziers à paraître le 1er juin 2012.
extrait de La Couverture rouge in Lisières de Marianne Desroziers à paraître le 1er juin 2012.