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Vases Communicants avec Christophe Sanchez

Ce mois-ci, dans le cadre des Vases Communicants, j'échange avec Christophe Sanchez autour de la figure du père. 
Ci-dessous, son texte « L'espingouin ». 
Retrouvez le mien intitulé « De mon père » sur son blog ici.
Cette édition des Vases Communicants est dédiée à Francis Royo disparu le 14 mai dernier.

L’espingouin

Tu as dans le cœur des années en martyres, des aïeux en Espagne, des vieux sous les paupières qui grêlent tes nuits de sombres rêves. Ton nom est porté comme une croix, toi qu’on nomme l’immigré alors que tu es né ici comme Martin et Durand. Tu tangues, décroches des espagnolettes à toutes les fenêtres, chasses la jota à tous les coins de rue.
La honte sur les épaules, tu les redresses face au mur des origines. On te parle de Franco, tu ne sais pas qui est cet homme qu’on accuse. Alors tu plantes ton père - el caudillo - à coups de banderilles parce qu’il ne dit rien de ce qu’il a fui. Tu tues ta mère qui, dans sa tête restée là-bas, longe des « barrios » inconnus. Tu méprises leur langue devenue « fragnole ». Tu ne dis pas « Santchez » mais « Sanché » avec le ridicule de la prononciation qui baigne dans ta bouche.
Tu veux t’affranchir, faire plus français que français, t’arracher de ta condition de pauvre espingouin. Tu singes le parisien, celui qui parade dans tes années soixante. Tu joues au fringant jeune homme, costume noir et cravate sur chemise blanche. Tu rêves de courir les rues sur une Vespa avec une sémillante demoiselle aux cheveux gaufrés.
Mais tu es d’une famille modeste et tu y resteras. Tu es d’origine espagnole et tu es pauvre. Tu es ici parce que la France a eu besoin de tes parents. Main d’œuvre peu coûteuse pour reconstruire et, pour eux, un rêve de liberté qui les a poussés à traverser la frontière. Mais depuis que tu es en âge, ton quotidien est à la vigne, à manger des cailloux sous un ciel de labeur noir. Tu ne portes pas le costume. Tu es étranger de sang et tu dois au pays – à ton pays – besogne et sueur pour mériter le pain de ta famille. Tu traînes ta mélancolie en bleu de travail et godillots à crampons. Mon père à mots brisés, mon père à rêves évaporés ! Tu es à la vigne pour la battre, lui faire cracher le vin dont tu n’auras que quelques gouttes.
Tu t’uses à ses souches et souffriras à jamais des tiennes.


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