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Critique de "Sylvia, la fille dans le miroir" par Annie Forest-Abou Mansour


Sur son blog littéraire "L'écritoire des Muses", Annie Forest-Abou Mansour me fait l'honneur de cette très belle critique : 

 Une mise en miroir

Dans Sylvia, la fille dans le miroir de Marianne Desroziers, une année de la vie d’une jeune doctorante prénommée Esther, est proposée dans une narration à la troisième personne du singulier en focalisation interne ou omnisciente, puis à la première personne. Et en miroir sont données à lire la vie et l’oeuvre de Sylvia Plath, célèbre écrivaine et poétesse américaine que la dépression mènera au suicide.  Cet ouvrage original  à la densité fulgurante, chargé de sens,  éveille la curiosité et le plaisir tout en  invitant à la réflexion et en s’ouvrant sur de multiples lectures. D’emblée le titre et l’illustration de la couverture de l’ouvrage en noir et blanc d’Olivia HB,  en osmose avec l’histoire narrée, inspirent le rêve. Le miroir, objet pictural, poétique, littéraire par excellence  dans lequel le monde s’inverse, la psyché exhalant une fluide animique,  embarquent le lecteur vers un ailleurs chimérique coloré de beauté et de mystère.

La dérive des repères

 Esther,  étudiante en Lettres de vingt-deux ans, passionnée de littérature, ayant « un goût immodéré pour le travail intellectuel », entame avec enthousiasme sa première année de thèse de doctorat sur Sylvia Plath sous la direction de Martha Smith, universitaire qu’Esther admire et craint tout à la fois. La jeune fille solitaire qui prend peu soin de son apparence (« La psyché lui renvoya son reflet : celui d’un petit être chétif et vaguement féminin, maigre et pâle, visage fermé de femme sérieuse, gravité de vieille dame contrastant avec un corps de petite fille asexué (…) Ses longs cheveux décoiffés, pas maquillée, habillée avec ce qui lui tombait sous la main (…) elle ne faisait pas beaucoup d’efforts pour s’arranger »)quelque peu maniaque (« Avec Esther, empiler des livres sur un bureau devenait une science complexe, voire hermétique », / (« (…) elle poussa la porte entrouverte qui menait à la cuisine, prenant bien  soin de poser son pied au milieu des carreaux, non sur les  bordures (…) »n’a guère confiance en elle. Elle  ne vit que par et pour la littérature. Ses travaux de recherche constituent l’essentiel de son existence. La compréhension des écrits de Sylvia Plath implique progressivement chez elle un processus d’identification inconsciente. En effet, lire et comprendre une œuvre, c’est d’abord s’en imprégner. Très vite, Esther est hantée par l’objet de ses recherches. Son travail est obsessionnel. Le roman  de Marianne Desroziers part du réalisme, puis devient fantastique, un fantastique qui s’applique à côtoyer le vrai, espèce d’oscillation entre  la réalité et le rêve, entre le rationnel et la folie. Des repères précis structurent le texte pour lui donner une grande cohérence alors qu’il dérive.

Une dérive temporelle et spatiale

La jeune femme est essentiellement donnée à voir dans son petit appartement et dans les rues et parcs de sa ville avec laquelle elle entretient des rapports intenses. Espèce de visionnaire dotée d’une extrême sensibilité, elle capte avec acuité les ondes et les vibrations  de son environnement.  Après avoir rencontré sa professeure, au fil de ses pérégrinations dans Bordeaux,  saisie de stupeur, Esther subit un certain nombre d’hallucinations, d’abord  visuelles. Des lieux se métamorphosent sous ses yeux, « Puis le décor changea sous son regard incrédule. Ce ne fut pas une transformation radicale mais progressive par petites touchesTout d’abord, Esther se frotta les yeux, croyant à une illusion d’optique (…) », dans une dérive temporelle et spatiale, le passé se superposant au présent, l’ailleurs envahissant le céans. Une époque révolue surgit avec sa mode surannée : « Des dizaines d’étudiants envahirent son champ de vision. Ils semblaient venus d’une autre époque, leurs vêtements depuis longtemps passés de mode. En les observant mieux, elle vit qu’il n’y avait que des femmes dont elle remarqua les longues jupes en tissu épais, les socquettes blanches (…) ».  En surimpression au parc bordelais visité émerge le « London Zoo ». Les lieux fusionnent. Le lecteur  bascule dans un univers fantastique et onirique.

Puis les hallucinations deviennent auditives. Une voix, bien timbrée, de plus en plus autoritaire,  celle de Sylvia Plath,  sort de la psyché en bois d’acajou, « offerte par (l)a grand-mère (d’Esther) peu avant sa mort », – objet pour la jeune fille aussi précieux que ses livres -, et s’adresse à elle. La jeune doctorante est visitée par le fantôme de ses recherches. Sylvia devient sa guide, une guide de plus en plus intrusive et tyrannique, s’imposant à elle d’abord dans son appartement, puis lors de ses déplacements.

Un univers onirique

La toile de fond du roman est Bordeaux. Le lecteur découvre la ville à travers le regard et la sensibilité exacerbée d’Esther assise devant la fenêtre de son bureau ou en la suivant dans ses déambulations.  Dans une volonté de situer parfaitement le texte, des descriptions précises de lieux, bâtiments, jardins publics, rues,  sont données, avec leurs couleurs peu à peu transfigurées par l’imagination poétique, onirique, gourmande de la jeune étudiante  (« Le paysage qui s’offrait à elle se composait d’un ciel bleu saupoudré de quelques  nuages en sucre glace, rangées de tuiles biscuits orangées, praliné de lierre grimpant sur les façades en pain d’épices agrémentées de pigeons en pâte d’amande, de pies en chocolat noir et chocolat blanc »),  avec leurs sons  (« C’était un camaïeu élégant de son hétéroclites modulés, prenant tour à tour le dessus : ronronnement des véhicules à moteur, tintement de la cloche annonçant le tram, bruit du glissement de celui-ci sur les rails, rires et cris d’enfants en provenance de la cour d’école d’à côté, voisin effectuant des travaux, cloches de l’église, sirènes des pompiers, de la police ou des ambulances, plus rarement sirènes des bateaux de croisière sur la Garonne (…) ») proposés dans une hybridation de la pensée logique et de la lancée fantastico-poétique.  Esther glisse de l’observation minutieuse vers l’onirisme et le poétique au sens étymologique du terme.

Un regard critique caustique

Sur l’incitation de Sylvia Plath, puis mue par un impérieux besoin d’écrire (« J’ai  une folle envie d’écrire, les idées se bousculent dans ma tête, me laissant à peine le temps de les noter »), Esther abandonne son travail de recherche pour se consacrer à l’écriture poétique et romanesque. L’ouvrage poético-fantastique devient  rapidement un roman sur la quête de soi, un roman d’apprentissage, un roman initiatique. La terne et timide jeune femme qui se perçoit de façon négative acquiert progressivement davantage d’assurance.  Elle devient autre.  Elle devient l’écrivaine Estelle. A treize ans, elle s’était laissée appelée Estelle par une compagne de jeu et  désormais adulte, elle a gardé la croyance « qu’Estelle serait une version améliorée d’(elle)-même ». L’astre  devient étoile !  Elle se met à fréquenter les salons littéraires qu’elle observe avec un regard critique caustique, ironique et humoristique.  Elle présente de façon satirique les revuistes masculins machistes dans des caricatures les ridiculisant : « Il faut se rendre à l’évidence : le revuiste est en quasi exclusivité un mâle, la femelle semblant exclue de fait de cette activité virile consistant à produire un objet à connotation intellectuelle », mettant l’accent sur leur comportement  grotesque et mesquin, leur esprit pétri de préjugés,  (« (…) il y a fort à parier que ce soit l’oeuvre d’une femelle en plein syndrome prémenstruel »), prédateurs auprès de jeunes femmes désireuses d’être publiées.  Après avoir plongé dans la complexité et les difficultés de la création,  le lecteur évolue dans l’univers impitoyable de l’édition. Les rapports entre le réel et la fiction se tissent subtilement. L’expérience de l’écrivaine se mêle à celle du personnage fictif. En effet, dans toute œuvre artistique, il existe une essence autobiographique sans que l’histoire racontée soit autobiographique. Dans Sylvia, la fille dans le miroir, derrière la jeune protagoniste, jaillissent le vécu, la culture, l’humour et l’ironie de Marianne Desroziers qui avance constamment sur le fil du rasoir. Le fantastique et le réel se superposant, palimpseste d’espaces et de temps. Le début du XXe siècle envahissant le XXIe dans un temps hors temps, dans une surimpression d’espaces familiers et/ou lus. La  promenade d’Esther dans le jardin public bordelais devenu progressivement le Queens’s Mary Garden découle des lectures dont la jeune étudiante est fortement imbibée, témoignage de la puissance de l’écrit qui fige le temps et résonne à l’infini tel un gong  tibétain. Ses connaissances vivent littéralement en elle. Son vécu passe par sa mémoire.

 Sylvia, la fille dans le miroir, ouvrage tout à la fois réaliste et onirique,  à l’écriture soignée, esthétique, jubilatoire, permet une irréfragable envolée dans « le plaisir du texte ».

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