« (...) il y a les souvenirs sans photo pour les matérialiser, les
authentifier : toutes ces pies sur le cerisier de mes grands-parents le
premier jour de l’été 1962 ; ce truc bizarre que j’ai vu dans le ciel avec
mon frère, en rentrant du cinéma, un soir d’hiver en 1971 ; ces paysages
magnifiques du Vercors, qui m’ont éblouie à une période où plus grand-chose ne
le pouvait ; et tous ces regards croisés par hasard qui m’ont bouleversée,
les géographies intimes des corps – un grain de beauté derrière l’oreille, une
cicatrice au poignet droit, la forme d’un nombril. Heureusement, tous ces
moments de bonheur fugaces, peut-être les meilleurs souvenirs finalement, sont
absents des photos et des négatifs, reproductibles à l’infini sur du papier mat
ou brillant. Je veux les garder pour moi, je n’ai pas envie qu’ils se
retrouvent dans les tiroirs de Chloé, dans l’album familial, ou dans ma jolie
boîte en tissu au milieu des autres qui jaunissent cruellement.
(...) »
extrait de La Disparition de la photo in Lisières de Marianne Desroziers à paraître le 1er juin 2012.
extrait de La Disparition de la photo in Lisières de Marianne Desroziers à paraître le 1er juin 2012.